Cocher le «oui» ou le «non», peu importe ! Tant il est vrai que le référendum se définit comme un exercice démocratique par excellence. Mais l’essentiel, selon des juristes, est que la participation à ce rendez-vous, jamais vécu en Tunisie, soit tout bonnement éclairée.
Référendum constitutionnel, vers quel régime politique ? Cette question qui taraude juristes et politiciens a été, de nouveau, posée et débattue, récemment à Tunis, par Democracy reporting international (DRI), une Ong allemande basée, depuis 2011, sous nos cieux. Le panel-débat auquel elle avait invité un aréopage d’experts en la matière servait d’un avant-goût explicatif portant sur le tant attendu projet de constitution de la nouvelle République. Le but étant d’éclairer la lanterne du citoyen lambda et l’aider à mieux comprendre les tenants et les aboutissants d’un projet jugé controversé. Sa mouture à peine finalisée vient d’être publiée, jeudi, par le Président Kaïs Saïed, l’artisan du 25 juillet 2021. Et voilà qu’au bout d’une année, jour pour jour, les Tunisiens seront appelés aux urnes pour dire leur dernier mot sur le référendum du 25 juillet.
Oui ou non, peu importe !
En fait, cocher le «oui» ou le «non», peu importe ! Tant il est vrai que le référendum se définit comme un exercice démocratique par excellence. Mais l’essentiel, selon des juristes, est que la participation à ce rendez-vous, jamais vécu en Tunisie, soit tout bonnement éclairée. Car, à seulement trois semaines du jour «J», l’on ne sait pour quel projet constitutionnel on va voter, se demande, texto, Mme Salwa Hamrouni, professeur de droit public à l’Université de Carthage. Cela dit, l’on doit en savoir plus sur son contenu, ses assises juridiques et ses interprétations dans la réalité tunisienne. «On n’a pas vu la rédaction du projet de la constitution. Qui l’a écrit et dans quelle condition ?», s’interroge-t-elle encore. A quelques semaines du référendum, l’on n’aura pas le temps à tout dire au peuple, voire aux électeurs qui vont donner leur voix.
Que vont faire les 161 candidats à la campagne d’explication pour leur apporter tous les éléments de réponse ? Aussi, s’étonne-t-elle, nos médias n’ont même pas eu à aborder un tel débat crucial. Encore une fois, commente-t-elle, on se trouve face à une liberté d’expression et d’opinion quasiment confisquée. «Nous sommes devant un fait accompli», note-t-elle.
«Une légitimité remise en cause»
Sa collègue Pr Kaouther Dabbech, de la même université, a nié au processus d’organisation du référendum toute forme de légalité. Selon ses dires, les conditions qui l’entourent ne sont pas en règle, dans le sens que toutes les garanties des élections démocratiques et transparentes pourraient être transgressées.
«C’est un texte rédigé et composé dans les chambres obscures. Et cela est dangereux !», a-t-elle jugé. Bref, sa légitimité est remise en cause, déduit-elle.
Consultant juridique à DRI, Amine Thabet, lui, semblait aller plus loin : «Nulle part ailleurs un référendum ou des élections ne s’organisent dans un état d’exception comme c’est le cas en Tunisie. Dans le cas d’espèce, rien n’est dans la loi». Le décret présidentiel 117 du 22 septembre 2021 relatif aux mesures exceptionnelles est toujours jugé anti-constitutionnel. Et par conséquent, tout ce qui se crée ou se décide dans pareil contexte relève, selon lui, de «l’arbitraire». D’autant plus que l’absence d’un seuil électoral, prétend-il, serait de nature à plomber les résultats du scrutin et mettre en doute sa crédibilité. Et d’ajouter que, dans ce cas, le nombre des voix se calcule sur la base de la majorité représentative des participants au référendum. «Ainsi, le projet de la constitution pourrait être plébiscité avec seulement 50% plus un du total des votants», analyse M. Thabet, relevant, ici, que les moindres règles de la démocratie participative font aussi défaut. Surtout qu’on est, aujourd’hui, à l’orée d’un nouveau pacte social qui nécessite, du moins, un certain taux de participation révélateur de la transparence du scrutin, abonde-t-il dans ce sens. «Sans seuil, voter pour «oui» ou pour «non», peu importe ! Le boycott n’aura, non plus, aucun sens, étant donné qu’on est dans le cas d’un scrutin majoritaire», conclut-il. D’après Mme Raja Jabri, présidente de l’association Mourakiboun, ce boycott constitue en soi un 3e choix qui exprime un refus catégorique de tout le processus exceptionnel post-25 juillet 2021.
Régime présidentiel, quelles garanties ?
En effet, les panélistes sont, tous, unanimes sur le caractère extravagant d’un tel référendum qui va à contre-courant. «Ni le temps réservé à la rédaction de ce projet de constitution si controversé, ni la durée de sa campagne explicative ne nous permettent de tout comprendre dans les détails», fustige Mme Hamrouni. Elle revient à dire que rien n’est fait dans la dentelle. Volet observation en amont et aval du référendum, il y a aussi un hic : «Organisation précampagne, inscription des électeurs, accréditation des observateurs (société civile et médias..) et bien d’autres axes sont remis en question», selon Mme Jabri. Et en tant que représentante de la société civile, elle n’a pas manqué d’émettre des réserves sur la capacité de l’Isie à réussir ce rendez-vous et à respecter les standards démocratiques relatifs à son bon déroulement.
Sur un autre plan, le projet du texte constitutionnel propose aux citoyens de se prononcer sur un nouveau régime politique. Or, l’architecture de ce régime n’est pas encore, semble-t-il, précisée. Présidentiel ou semi-présidentiel, disaient les panélistes, il y a des craintes au niveau des droits et des libertés, mais aussi des abus touchant la séparation des pouvoirs.
Et maintenant que le projet de la constitution, publié tout récemment, a révélé tous ses secrets, avec un penchant pour le régime présidentiel, quelles garanties faudrait-il remplir afin de prémunir l’Etat de droit contre toute forme de dérive ? Dans quelle mesure ce régime politique dévoilé ne peut nous faire revivre le règne de la dictature révolu ?